Itinéraires des Photographes Voyageurs 2022. BordeauxPage Facebook
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Gérard Staron
Hom(m)es
ESPACE SAINT RÉMI
DU MARDI AU DIMANCHE 14H > 18H30
4 RUE JOUANNET, 33000 BORDEAUX
Gérard Staron

Gérard Staron

Gérard Staron. Je suis né en 1962 à Alger. J’ai grandi en France entouré des œuvres
de mon grand-oncle Henry Caillet,
peintre du début du 20ème siècle.
Fin 2013, après 23 ans passés dans l’informatique, j’ai décidé de m’investir totalement dans la photographie. J’ai participé de 2014 à 2020 à de nombreuses manifestations.
Autodidacte, j’ai suivi une formation de perfectionnement au tirage d’art aux Gobelins.

www.gerard-staron.com

Gérard Staron

André cultive ses carreaux de poireaux dans son potager

Ca fait cinquante ans qu'il habite là. La maison n'est pas bien grande ni très reluisante, mais elle procure un toit et ça lui suffit. Quand on a alterné chômage et petits boulots toute sa vie, on est pas très exigeant.
Et puis il y a ce jardin, tout en longueur derrière la maison. Enfin, ce n'est plus un jardin mais un grand potager, qui permet à André d'avoir des fruits et légumes toute l'année. En été, le jardin donne des tomates en abondance, des radis, des salades, des fraises. En hiver, c'est plutôt choux tous les jours mais c'est autant d'économisé.
Il y a même un poulailler au fond, et les trois poules lui donnent régulièrement leur quota d'œufs (et de temps en temps une poule au pot). C'est son apport en protéines.
Entretenir tout cela demande beaucoup de travail mais André a du temps, maintenant. C'est même ce qui le maintient en vie, André, de devoir bécher, semer, rempoter, arroser, désherber, cueillir.  Il vit, il respire.
La maison était entourée de champs. Et puis, il y a eu le centre sportif qui s'est construit. Ensuite, le théâtre est arrivé, puis un collège, la piscine, une salle de danse. Petit à petit, les champs ont rétrécis et les bâtiments ont poussés.
Il y a un an, c'est un deuxième collège qui s'est construit juste en face, de l'autre côté de la route.

Et maintenant, c'est un gymnase qui est en projet. Il doit s'élever pile à la place de la maison. C'est prévu pour dans un an ou deux.  Oh, bien sûr, il sera relogé, dans un appartement neuf, mais il n'y aura plus de jardin, plus de légumes, plus de poules. Les fins de mois seront un peu plus difficiles, les raisons de sortir plus rares, la vie plus fade. Alors, à quoi bon ?
Gérard Staron

Anne aime la solitude

Anne est un paradoxe. Profondément religieuse et solitaire, elle aurait pu entrer dans les ordres et finir dans un couvent.
Mais Anne ne supporte pas d'être enfermée. En plus d'une légère claustrophobie, Anne a besoin de plein air et d'horizon, c'est pourquoi elle était entrée chez les guides de France à 12 ans.
Abandonnant ses études de théologie, elle avait passé une licence "Archives, médiation et patrimoine". Ce qui lui avait plu dans l'intitulé de sa formation, c'est qu'on pouvait lire "méditation" au lieu de médiation.
Elle trouva ensuite un travail dans une société spécialisée dans la gestion des archives, ArchivDoc.
Le travail solitaire lui convenait, moins les rayonnages à perte de vue qui la cernaient. Le soir, après le travail, elle avait besoin de prendre l'air avant de rejoindre son petit studio sous les toits. Après un long trajet en RER, elle finissait à pied pour traverser le parc avant de rentrer. Elle habitait Paris mais n'en profitait pas. Les bars, les restos, ce n'était pas pour elle. Seule une visite au Louvres de temps en temps agrémentait ses week-ends.
Un jour qu'elle se promenait entre midi et deux, non loin de son travail, elle repéra un étrange manoir. C'était un ancien restaurant, à l'abandon depuis des lustres. Dès lors, ses journées furent bien remplies. Il fallut aller au cadastre, trouver le propriétaire, le convaincre de vendre à un prix dérisoire, amadouer le banquier pour qu'il lui accorde un prêt sur trente ans et enfin passer chez le notaire.
Anne était contente. Elle passait ses soirées en haut de sa tour, d'abord à regarder la vallée de la Seine filer vers l'océan, puis les étoiles quand le soleil avait disparu sous l'horizon.
Mais la technologie aidant, les archives papier cédèrent le pas aux archives numériques. Les clients vinrent à manquer et ArchivDoc dû se résoudre à un plan de sauvegarde de l'emploi qui, comme son nom ne l'indique pas, consista à supprimer l'emploi d'Anne et de quelques autres.
Après, on se sait pas trop ce qu'il advint d'Anne. La banque récupéra le château, qui retourna à l'état d'abandon. A l'intérieur, on peut encore voir les objets qu'Anne y a laissés.

Gérard Staron

Brice, francilien contraint

C'est une île dans la grisaille francilienne. A l'origine, rien ne la distinguait des autres maisons, et Brice est arrivé.
Brice habite ici et vit ailleurs, quelque part à Hawaï. C'est l'héritier des Dieuleveut, des d'Aboville, des Moitessier, des Brel.
Contrairement à ses prédécesseurs, il n'a pas fait le choix de rester là-bas. Il alterne travail à Paris et voyage. Pour se rendre la vie meilleure, il s'est recréé en Ile de France (une île, encore) son petit paradis. Il a troqué le surf contre le wake, qu'il pratique aux étangs de Cergy. Il part en expédition en 4X4 en forêt de Montmorency.
Il travaille un an à Paris, accumule assez d'argent et part vivre 6 mois là-bas. Nathalie reste en France pour s'occuper de leur fils Denis.
Voilà, un an a passé, Brice prépare sa valise. Il n'emmène pas grand chose,  le climat à Hawaï ne nécessite pas de vêtements chauds, et puis, il a déjà tout là-bas dans une petite cahute au bord de la plage, là où ses surfs et les vagues l'attendent.
Roissy, c'est l'heure de la séparation, toujours un peu difficile. Il embrasse Nathalie, caresse les cheveux de Denis qui fait forcement un peu la tête. Il faut y aller. Brice passe les contrôles de sécurité et vingt minutes plus tard, il est dans l'avion, prêt à affronter les dix neuf heures de vol, escale comprise.
Honolulu, Brice sort de l'avion. Il a mal dormi mais il s'en fout, il est tout sourire. Il sait que, derrière les portes de la douane, l'attendent Mahina et leur fille Kailani.

Gérard Staron

Bruno, braco

Je ne l'avais jamais imaginé mais j'ai retrouvé aujourd'hui l'univers des lectures de mon enfance. Certes, la vie n'est pas facile, il n'y a pas de boulot, ni cdi, ni cdd mais on trouve des petits jobs à droite à gauche, un coup de peinture à passer sur un mur, du désherbage, une clôture à réparer. C'est qu'il y en partout, des clôtures, une autour de chaque forêt.
Rien ne me prédestinait à cette vie. Je suis né et j'ai grandi en banlieue, dans un petit pavillon en lotissement. Le lotissement, c'est bien quand on est gamin : on vit en plein air, on peut se balader un peu partout dans les rues pendant que les parents nous croient dans le jardin ou chez les voisins. Avec les copains, on poussaient jusqu'aux champs, pour tenter d'observer un faucon, une perdrix.
Je n'étais pas doué pour l'école, seule la lecture m'intéressait parce qu'elle me faisait rêver. Après avoir lu "La gloire de mon père", je m'étais découvert une passion pour les livres de Giono et de Genevois. J'ai donc quitté assez tôt l'école pour l'usine et je me suis installé dans un petit studio, en banlieue toujours. Le boulot n'était pas passionnant mais j'arrivais à mettre un peu de sous de coté.
Et puis l'usine a fermé, comme partout la boite a délocalisé. Du coup, on était de plus en plus de chômeurs pour de moins en moins de travail. Alors, pour ne plus payer de loyer, j'ai décidé d'acheter un logement avec mon petit pécule. Evidemment, il n'était pas question de trouver quoique ce soit en ville ou même en banlieue.
J'ai fini par trouver cette bicoque en Sologne, en bordure d'un petit village et de la forêt. Le potager fournit les légumes et quelques fruits, le poulailler des œufs et parfois une poule. La forêt et les étangs m'apportent viandes et poissons en complément. D'où mon intérêt pour les clôtures, les entretenir permet aussi de me ménager des passages pour y entrer plus facilement. Avec le temps, je connais parfaitement les coins à champignons, les endroits où poser mes collets, et les sentiers préférés d'Albert.
Avec Albert, on pourrait être copains mais c'est le garde-chasse. Ce n'est pas un mauvais bougre, c'est juste sa fonction qui pose problème. Quand je le croise au village, on se salue bien et on parle de la pluie et du beau temps. En forêt, je pense qu'il sait ce que je fais et je crois qu'il évite de me croiser.

Gérard Staron

Carlos a peur

Le monde va mal...
La France va mal...
Il y a de plus en plus d'immigrés, de chômeurs, de voleurs et de bons à rien. Même dans l'Yonne, on est pas épargné. Et ils le disaient, à la télé, ça continue d'arriver, les migrants. Et le poste de police le plus proche est à 30 km. Le temps qu'ils arrivent, c'est déjà trop tard.
Qu'est-ce qu'ils cherchent, ces gens qui passent sur la route ? C'est quoi cette manie de regarder par les fenêtres à l'intérieur des maisons ?
Alors j'ai construit un mur, bien haut. Il peut toujours courir, celui qui veut voir par dessus. Au moins, je suis tranquille. Bon, évidemment, il fait un peu sombre maintenant dans la maison. Mais c'est pas grave, j'ai mis des halogènes. Pas de ces lampes qui consomment pas mais qu'éclairent rien et qui mettent des plombes à chauffer. C'est bien, les halogènes. J'ai mis deux gros spots dehors, qui s'allument dès que quelqu'un passe dans le jardin. Pour l'instant, c'est surtout le chien qui les allume.
Il est sympa, ce chien, Médor que je l'ai appelé, comme ça je risque pas d'oublier son nom quand je rentre du bistrot. C'est qu'il a de la voix, ce chien, si quelqu'un rentre, je suis sûr d'être prévenu. Quand quelqu'un passe dans la rue aussi d'ailleurs. Mais ça me rassure.

Et le gars qui arrive à franchir le mur et à éviter Médor, il aura affaire à moi, j'suis prêt... enfin, je crois.
Gérard Staron

Le petit Versailles d'Edouard et Germaine

Germaine est casanière. Elle s'est aménagée un petit chez-soi où elle est bien. C'est elle qui a choisi la décoration, les rideaux à fleurs et les fauteuils de style anglais. Toute la maison est à son image sauf un petit réduit réservé à Edouard et son bric à brac, ses souvenirs de voyage.
Le jardin est aussi son œuvre.  Elle a choisi chaque vasque, chaque statue, chaque arbuste, chaque fleur. Elle consacre énormément de temps à l'entretien et à la taille des plantes. Chaque année, elle participe au concours de la mairie des jardins fleuris. En vain. Ces trois dernières années, c'est Mme Armand, de la rue des roses, qui a remporté le prix. Le jury n'aime peut-être pas les topiaires, ou alors le fait que le cousin de Mme Armand travaille à la mairie n'est peut-être pas étranger à l'affaire.
Edouard aime les voyages avec une passion particulière pour l'Afrique. Tout est parti d'un pari un peu fou de participer au Paris Dakar en 1980, au guidon de sa 500 XT. A l'époque, c'était vraiment l'aventure. Sans assistance, il fallait rouler avec un minimum de casse et le soir, c'était bricolage au bivouac. Il y avait une grande fraternité, tous s'entraidaient. Edouard avait vraiment l'impression de faire partie d'une communauté. Il y a eu ensuite le Mali, dans une ONG entre Peuls et Dogons. Puis le Togo, le Benin, le Cameroun...
Après, avec Germaine, ce n'était plus pareil. Il a bien réussi à partir une fois avec elle au Kenya, mais en bus en voyage organisé. Ok, il y avait les antilopes, les grands fauves, mais à se laisser transbahuter en car, on subit, on ne participe pas. Depuis, enfermé dans cette bonbonnière, la vie s'écoule longuement, uniforme et répétitive. Le seul moment un peu excitant, c'est la remise des prix du concours des jardins fleuris. Et encore, le résultat est connu d'avance, la mairie, c'est république bananière et compagnie.

Edouard m'a dit qu'il a toujours été fasciné par l'histoire du gars qui part acheter une boite de petit pois et ne revient jamais.
Gérard Staron

Chez Fernand

Fernand était le grand-père de mon mari. Il est arrivé dans ce coin de campagne pour travailler à la clouterie. Il y est entré comme apprenti et a fini contremaître. C’était quelqu’un de très enjoué, toujours prêt à plaisanter et copain avec tous les ouvriers de l’usine. Alors, à la retraite, autant pour améliorer sa pension que pour ne pas perdre de vue ses copains, il a repris le café de la place. C’est devenu «Chez Fernand». Toute la clouterie y avait ses habitudes, le café marchait bien.
Naturellement, quand Paul, son fils, a été en âge de travailler, il a pris du service au café plutôt que d’embaucher à l’usine. Et puis, à la clouterie, l’ambiance a changé petit à petit, des histoires de promotion, de favoritisme,  et de jalousie ont divisé l’usine en deux camps. On disait que Marceline, la fille de Jules aurait fricoté avec Ernest, le fils du directeur. Et le Jules qu’était simple ouvrier, il a été promu contremaître... Tout ça, c’est peut-être que des histoires, n’empêche, la Marceline, elle s’est retrouvée grosse d’on ne sait pas qui !
Alors, il y a ceux qui voulaient se faire bien voir et ne rien voir et les autres qui continuaient à aller chez Fernand. Les lèches-bottes de la direction préféraient faire 5 km de plus à bicyclette pour rejoindre le village voisin où il y avait un autre troquet. Chez Fernand, c’était devenu le QG de communistes.
Bon, tout ça, c’est de l’histoire ancienne. Paul a eu un fils, Nicolas. Nicolas, c’est mon mari. A l’époque, j’avais 20 ans,  Nicolas travaillait au café. Ca a été le coup de foudre ! Comme ma mère m’interdisait ne serait-ce que de passer devant ce lieu de perdition, on se retrouvait en cachette dans un pré à l’écart sous «notre» pommier. A un moment donné, il a bien fallu rendre la chose publique, ça urgeait, vous voyez ? Mais alors on n’imaginait pas autant d’hostilité ! Faut dire, toute cette histoire que je viens de vous raconter, j’étais pas au courant, ma mère ne m’en avait jamais rien dit, et mon père, je l’ai jamais connu. Et le petit est arrivé. On l’a appelé Ernest, un genre de revanche sur le destin.
Avec toutes ces histoires, le café s’est vidé encore un peu plus de ses clients.

Et puis, la clouterie a fermé. Ernest est parti travailler à la ville. Y’avait plus personne au café. C’était notre capital retraite mais c’est devenu invendable. Alors on a loué le 1er étage, où on habitait, et on a emménagé dans la salle du bar. C’était notre lieu de travail, c’est devenu comme qui dirait notre lieu de retraite !
Gérard Staron

Franck aime la France

Ce n'est pas que Franck n'aime pas le beau, il n'en a tout simplement pas les moyens. Le budget familial est serré. Pour faire des économies, Franck a construit tout seul sa maison. Elle n'est pas grande, a peu de fenêtres (les huisseries coûtent cher), mais elle lui permet d'abriter sa famille. Elle ne sera jamais terminée, à chaque fois de nouvelles dépenses viennent siphonner ses maigres économies. Maintenant, c'est la voiture qui a perdu un enjoliveur. Ca attendra après les vacances, elle roule tout aussi bien sans. Il y a un mois, c'était le pot d'échappement, et alors, pas possible de rouler.
Les vacances... Il va falloir aller chercher la tente au grenier, avec les sacs de couchage, vérifier que toutes les sardines y sont, préparer la glacière et les cannes à pêche. Ensuite, direction la Creuse et le lac de Vassivière. Les vacances, c'est toujours à la campagne et toujours en camping, autant par nécessité  que par goût, la mer c'est trop cher, et l'étranger n'en parlons pas. Une fois, il a été à Paris, pour la journée. Il a vu la tour Eiffel, Beaubourg et les bateaux mouches.
L'an dernier, c'était Clairvaux-lesLacs, dans le Jura, et avant, Montsauche, dans le Morvan. Et toujours la pêche. C'est sa passion, la pêche, sa manière de laisser filer le temps sans s'en rendre compte, de vider totalement son esprit. Le reste de la famille s'en accommode et trouve d'autres distractions. Ce qui est bien avec la pêche, c'est qu'on peut la pratiquer dans plein de régions différentes. Ca permet de parcourir la France au fil des étés. Alors, pourquoi aller loin quand on a tant de diversité autour de soi ?
Bref, Franck aime la France.

Gérard Staron

Jean, 20 ans, fils d'agriculteur

" Faites chier !"
C'était il y a deux ans. A vivre avec ses parents et grands parents dans la ferme familiale, il avait eu plus d'une fois envie de claquer la porte. Il ne se passait pas une journée où il n'essuyait pas une remarque, sur le bazar dans sa chambre, sur son inactivité chronique, sur son rythme de vie plutôt nocturne.
En Saône et Loire, les occupations sont rares pour les jeunes. Les endroits pour se retrouver aussi. Le café du village est déjà occupé par les adultes, ceux qui viennent pour le blanc de 10h, ceux qui se retrouvent pour l'apéro, ceux qui font leur PMU, ceux qui n'ont pas de raison mais qui viennent quand même, ceux qui ont toutes les raisons de venir boire. La place du village est exposée à tous les regards, pas moyen d'être tranquille, il y a toujours un coin de rideau qui se soulève à une fenêtre. Il faut se retrouver en pleine campagne, par exemple sur l'aire de pique-nique que le maire a créée pour attirer les touristes. Pour ça, pas de risque d'en apercevoir la queue d'un.
Jean est parti. Oh, il n'est pas allé loin, 3km à peine, après l'embranchement de la route de Saint-Micaud. Mais il n'a pas fui, il n'a pas quitté sa famille, pas vraiment, il a juste pris un peu de distance. D'un commun accord avec sa mère, il squatte un petit bout de grange, dans laquelle son père et son oncle lui ont aménagé une petite pièce. C'est devenu le QG des copains, un espace de liberté où on refait le monde jusqu'à pas d'heure, où on boit, où on aime.

Ce soir encore, il y aura Maxime, Sylvia, Lisette et Luc...
Gérard Staron

La jeunesse de José

Voilà, c'est à moi. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?
C'est le seul souvenir qu'ils me laissent. Elle est petite, et puis loin de tout. Il m'a fallu une heure pour venir, c'était embouteillé de partout. Et ça va être la même chose au retour. Et puis c'est mort, ce bled, pas une activité culturelle, rien pour occuper les jeunes. En revoyant cette maison, je me remémore les longues journées d'ennui passées à trainer le week-end et pendant les vacances, quand on ne rentrait pas au "pays" voir la famille restée au Portugal. Et l'obligation d'aller à la messe tous les dimanches, assis, debout, assis, c'était interminable. Elle va être compliquée à vendre, cette maison avec cet azulejos sur la façade.
Oublié, tout ça. Mes parents ont travaillé dur pour que je puisse faire des études. Résultat, je suis cadre commercial dans une banque, j'habite un quatre pièces confortable à Paris et je passe mes vacances dans les iles : Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie, La Réunion, Maurice. C'est autrement plus fun que le Portugal. J'ai une petite préférence pour Sainte-Lucie, on envisage même d'y acheter un petit pied à terre. Qui sait, avec la vente de la maison, on pourra acheter le bateau pour faire du ski nautique.
 Et Paris, ses cinémas, ses théâtres, ses "pubs", c'est autre chose que le café des sports de la rue Gabriel Péri. Rien ne vaut la vie parisienne. Au moins, on vit, on EXISTE, à Paris.
Allez, je vais voir à l'intérieur. Il faut que je trouve quelque chose à ramener à l'appart, n'importe quoi, un bibelot, un cadre, histoire de montrer mon attachement, que je n'ai pas complètement tourné la page. Peut importe ce que je trouve, de toute manière ça finira rapidement au fond d'un placard ou à la cave.
Qu'est-ce qu'elle fait, la femme de l'agence ? Je vais finir par être en retard au bureau. C'est qu'ils sont un peu à cheval sur les horaires à la BES*.
* : Banco Espirito Santo

Gérard Staron

Lily n'a jamais vraiment quitté le monde des princesses

Toute petite, Lily rêvait d'être une princesse. Fille unique, ses parents l'encourageaient dans ce sens : c'était la plus mignonne, la plus merveilleuse. Cette admiration, ajoutée à l'éducation qu'elle recevait, la confortait dans ses rêves. Chaque petit bobo, chaque petit accroc de la vie était compensé par l'arrivée d'une nouvelle peluche. Il y avait là Jolly, né bien avant elle, l'okapi qu'elle avait longtemps pris pour un cheval, l'ours Oscar Paddington, comme le jazzman, les twin brothers achetés en solde après le jubilé de la reine, Pingouin le pingouin, Croco l'alligator. L'un était arrivé lors de sa première chute en vélo, deux autres à l'occasion d'un voyage en Angleterre, un autre encore pour son premier chagrin d'amour. Créatures bienveillantes, ils formaient une étrange petite cour pour la princesse.
Elle attendait le prince charmant, elle croyait l'avoir trouvé, mais à minuit, ce ne fut pas le carrosse qui se transforma en citrouille. Elle apprit alors à se méfier du loup. Elle ne douta plus que Cendrillon resta Cendrillon et que le petit poucet disparut à jamais. Cette rencontre brutale avec la vraie vie lui fit revoir ses ambitions à la baisse. Elle se résigna à occuper un emploi de bureau, ennuyeux à mourir et à rentrer seule dans son petit appartement.
Et puis, de la manière la plus banale possible, elle rencontra Marc, employé à la compta. Ce n'était certes pas le plus beau, ni le plus brillant, mais il était là pour elle.
Ils se marièrent, déménagèrent dans une jolie maison pour accueillir leurs futurs enfants. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de petites peluches.

Gérard Staron

Marthe vit à Philippeville, Val d'Oise

1962. C'est comme si c'était hier. Marthe et Albert, son mari, ont dû quitter l'Algérie, abandonnant tout là bas, leurs biens, leurs souvenirs, leurs âmes. Alors, pour ne pas oublier tout à fait, ils ont fait construire cette maison, C'est la copie conforme de leur maison d'avant, seules les plantations du jardin sont différentes, climat oblige. Ici, il faut qu'elles résistent au gel. Mais vu au travers des moucharabiés, l'illusion est parfaite.
1992. Albert est mort. Marthe se retrouve seule dans la maison. Marthe a ses rituels, le thé avec ses amies, la chorale, les courses au marché le samedi, le ménage le dimanche. Patrice et Mathilde, ses enfants, passent la voir régulièrement.
2012. Marthe se fatigue vite. Elle a arrêté la chorale, c'était trop loin à pied. Elle a une aide qui lui fait ses courses et son ménage. Patrice et Mathilde passent la voir de temps en temps, alternativement. Marthe fait des mots croisés, il parait que ça entretient la mémoire.
2017. Les enfants sont trop occupés pour venir voir Marthe, ou alors ils habitent trop loin, Marthe ne sait plus très bien. Il semblerait que ce ne soit jamais la même femme qui l'aide pour son ménage et ses courses. C'est difficile de vivre avec des inconnues. Alors, comme d'habitude, Marthe attend qu'Albert rentre du travail et ils iront à la plage pour un pique-nique au coucher du soleil. Marthe vit à Philippeville, Algérie.

Gérard Staron

Maurice, retraité de l'armée

Maurice aimait les voyages. Ca lui était venu progressivement, d'abord contraint puis par plaisir. Pour le comprendre, il faut revenir au début de son histoire :
D'allure plutôt chétive, Maurice était plus craintif que bagarreur. Maurice n'aimait pas l'école et l'école le lui rendait bien. Timide et réservé, il ne brillait en classe ni par sa présence, ni par la qualité de ses devoirs. Physiquement, il ne faisait pas le poids et était devenu la tête de turc de la classe. Donc Maurice allait à reculons à l'école, en se jurant qu'un jour il ne se laisserait plus faire, et il quitta l'école dès qu'il le put, à 16 ans. Après deux ans passés comme apprenti dans un atelier de mécanique, il s'engagea dans l'armée pour gagner en condition physique et en assurance, et aussi parce que la vie y était plus simple. Ce fut le début des voyages.
Jusque là, Maurice n'avait parcouru que les trente kilomètres qui séparait le village de la ville la plus proche. Ce fut donc un choc de se retrouver au Maroc, sur la base aérienne 708 de Meknès. Tout y était différent, le paysage d'abord, des palmiers partout, les montagnes arides, et plus au sud, les dunes. Son rapport aux autres aussi avait changé : s'il était perçu toujours comme différent, il distinguait dans le regard des habitants comme un mélange de crainte et de respect. Le temps lui-même avait changé, la vie était nonchalante, il n'avait pas la même valeur qu'en Europe.
Il fut ensuite transféré en Afrique équatoriale, et là, le temps s'allongea encore. Cette Afrique fut sa deuxième révélation. Malgré des conditions de vie difficiles, la gaieté régnait dans le pays. Il y découvrit des fêtes mémorables, des rites oubliés, un certaine douceur de vivre, alliée à un fatalisme débonnaire. Il s'était fait un excellent ami. Adetokunbo était sculpteur sur bois.
Maurice était d'abord tombé amoureux des coffres sculptés qu'Ade réalisait. Ils vécurent des moments mémorables sous les toits de tôle rouillée sur lesquels la pluie jouait du tambour. Et puis un jour, à l'occasion d'un crise encore plus violente que les précédentes, la malaria emporta Ade. Maurice, alors jeune retraité, rentra en France, s'acheta cette petite maison pour y vivre dans ses souvenirs.
Le chat s'appelle Kunbo.

Gérard Staron

Mireille, retraitée de la poste, profite de l'air marin

10 ans que Marcel est parti.
Il n'en aura pas beaucoup profité de son bateau, lui qui aimait tant la pêche. C'est pour lui qu'ils étaient venus s'installer en Normandie. Elle, elle préférait la campagne, les vaches et les haies pleines de mûres.
Aujourd'hui, elle ne déménagerait pour rien au monde. Elle tient toujours à lui faire plaisir à Marcel, et elle sent qu'il est content, Marcel, qu'elle soit toujours là, à contempler la mer en pensant à lui.
Evidemment, les enfants sont loin. Ils emmènent leurs enfants, ses petits-enfants, en vacances dans le midi. L'eau est plus chaude, parait-il. Alors, la maison est toujours calme, il n'y a jamais de cris d'enfants, c'est son seul regret.
Une fois par an, elle prend le train pour Paris. Ils viennent la chercher à la gare. Ils fêtent Noël et elle repart en Normandie. Elle qui rêvait de grands voyages, de pays magnifiques qu'elle admirait sur les cartes postales qu'elle voyait défiler au centre de tri, finalement, elle n'aura jamais beaucoup bougé, juste de la Bourgogne à la Normandie et un peu aussi Paris.
Ici, elle est un peu seule. Il y a bien le club de bridge, mais elle ne sait pas jouer aux cartes. Et puis, elle ne se sent pas à sa place, parmi tous ces retraités parisiens. Elle n'est pas non plus d'ici, alors c'est difficile de se faire des amies quand on vient d'ailleurs.

Alors, il lui reste ses souvenirs, les souvenirs de Marcel.
Gérard Staron

Nominoë, îlien par choix

Tous les jours, Nominoë prend le bateau pour aller travailler. Ca le fait se sentir vivant, il respire les embruns, s'imprègne des nuages et des vagues. C'est un grand bol d'air frais avant et après le travail de bureau.
Il n'a pas toujours vécu là. Après ses études, il est "monté" à Paris pour son premier travail. Son inadaptation à la vie urbaine a vite mis fin à ses espoirs de carrière. Il ne regrette rien.
L'île, c'est comme un village, mais fermé sur lui-même. Comme il n'y a pas d'échappatoire possible, il n'y a ni haine ni animosité entre les habitants. Ce serait invivable. Au contraire, il règne un climat d'entraide mutuelle, d'esprit bon enfant. Contrairement aux apparences, il n'y a donc pas ce sentiment de solitude que les continentaux imaginent.
L'île, c'est la douceur de vivre, l'apologie de la lenteur, c'est un petit tour en canot, avec sa voile au tiers, pour sillonner la côte en zigzagant entre les cailloux, pour aller relever ses deux casiers.
Mais ça, c'était avant. Avant les parisiens, avant que les maisons du village ne soient transformées en résidences secondaires, avant que les commerces du port ne soient convertis en bars branchés, avant que le port d'échouage ne soit creusé et transformé en marina, avant que le ciré jaune ne soit remplacé par le short fluo sur un collant moulant, bien plus seyant en régate, avant que le poisson ne double de prix au marché pendant les vacances, avant que les voiles noires en carbone ne remplacent les voiles tan.
Alors, où faudra-t-il aller, combien de milles faudra-t-il parcourir pour retrouver un havre de paix ?

Gérard Staron

Pascale, Sophie et Véronique, les vacances à la mer

Nous étions trois copines, on se connaissait depuis si longtemps qu'il était impossible de se souvenir de notre première rencontre. Ecole primaire, collège, lycée, on ne se quittait plus. Enfant, on jouait ensemble au bas de la cité. On nous appelait "les inséparables". Plus tard, malgré les aléas de la vie, les mariages, les enfants, on est restées soudées, habitant toujours dans la même cité.
Et puis un jour, on a voulu voir la mer. L'horizon à perte de vue, le vent dans la figure, quelque chose de totalement nouveau, loin de l'univers étouffant de la cité, nous étions conquises. La décision était prise, nous passerions toutes nos vacances d'été à la mer. Si on faisait gaffe à notre budget, ces trois bungalows flambant neufs étaient à notre portée.
Et voilà nos trois familles entassant tant bien que mal les bagages dans le coffre de la voiture direction la Normandie, les parties de boules et l'apéro sur la plage. Un éden nous attendait, l'atmosphère était joyeuse et insouciante.
L'endroit tenait ses promesses. On passait directement du bungalow à la plage puis à la mer. C'était la fête tous les soirs, l'alcool coulait à flot, un sentiment de liberté nous envahissait.
On n'aurait pas dû.
Tout le monde savait que Serge était un coureur invétéré. même Sophie qui fermait les yeux sur ses écarts. Clément lui était d'une jalousie maladive, sans aucune raison valable. Alors, oui, on aurait dû imaginer ce qui allait se produire.
Maintenant, un bungalow est fermé à jamais, et nous n'avons pas le courage d'ouvrir les deux autres.

Gérard Staron

Patrick et Nathalie, ensemble ou séparément

P : Un vrai coup de chance, ce terrain avec cette vue imprenable. De là, on domine toute la vallée de la seine. C'est incroyable dans ce secteur aussi construit. Il parait qu'il y avait un château ici, en ciment le château... quelle idée. Bon débarras. Ca nous laisse la place de construire ce qu'on veut. Le terrain est même assez grand pour faire un garage séparé pour la BM.
La baraque avance bien, la cuisine est installée, top design, le coin de Nathalie. Le poêle dans le salon est posé, dans un angle, parce qu'au milieu, je veux une télé écran géant et un home cinéma 5.1. Je me suis aussi réservé une pièce "bureau", spécial gamer, avec volant et fauteuil baquet. L'appartement étriqué où on vit actuellement sera vite oublié, place aux soirées foot et barbecue !
Tout ça, c'est classe et ça en jette, mais ça coute une blinde. Heureusement que beau-papa a des thunes. C'est un beau cadeau qu'il nous fait. Du coup, avec le loyer en moins à payer, je comprends pas pourquoi Nathalie veut continuer à bosser plutôt que de s'occuper des gosses, mon salaire est bien suffisant pour vivre peinard.
N : Voilà notre nouvelle maison. Peut-être ma dernière erreur. Oh, j'en ai fait d'autres, comme par exemple de penser qu'il pourra... que je pourrais le faire changer. Mais on ne change pas, on empire. Et là, on en est arrivé à la limite du supportable : foot, jeux video, foot, jeux vidéo, une vie passionnante, et encombrée par les copains envahissants.
Et dire qu'il veut que j'arrête de travailler, pour être entièrement dépendante de lui. Ma décision est prise. La maison est à mon nom. Il a tenu à faire un contrat de mariage de peur que je lui pique des sous, ça va lui faire tout drôle ce divorce...

Gérard Staron

Philippe a appelé son fils Johnny

Philippe aime les U.S. et Johnny.
En fait, il n'a jamais mis les pieds aux Etats-Unis. Ses goûts, il les a acquis en référence à l'univers de Johnny Halliday et au travers de films vus à la télévision.
Alors, il ne faut pas s'étonner que dans l'imaginaire de Philippe, les Etats-Unis ressemblent à une longue route 66 parcourue par des groupes de Hell's Angels en Harley qui croisent de temps en temps des troupeaux de vaches gardés par des cow-boys armés.
Ah, j'oubliais ! Philippe aime les armes, les armes de cow-boys plus particulièrement. Il nettoie régulièrement et religieusement son Remington calibre 36 de 1858, enfin une réplique achetée sur le catalogue Manufrance. Il va souvent dans la campagne tirer sur quelques bouteilles et laisse juste quelques débris de verre qui mettront quelques centaines d'années à disparaitre. Philippe n'est pas toujours écolo.
Philippe aime les catalogues. Il a aussi entretenu son imaginaire américain grâce aux catalogues de voyage et les photos qui s'y trouvent. On y voit évidemment plus souvent le Grand Canyon et Death Valley que les quartiers abandonnés de Detroit ou Anniston, Alabama.
Les catalogues, c'est aussi le plaisir de feuilleter et de voir défiler sous ses yeux des centaines d'articles exposés à l'envi, comme dans une vitrine géante d'un magasin. Rien à voir avec Internet et son affichage étriqué. Ce n'est pas que Philippe ne soit pas moderne, il est juste un peu nostalgique : c'est en parcourant certaines pages de ces catalogues qu'il calmait ses ardeurs de jeune adolescent.
Il est ensuite passé des catalogues aux revues de moto, monde onirique où dans les publicités, des motos servent de faire-valoir à des femmes lascives. Il y avait là moyen de concilier sa fougueuse jeunesse avec sa passion pour Johnny. Ce sera une Harley. Le problème de la Harley avec les filles, c'est que ça marche très bien à l'arrêt à la terrasse d'un bistrot, mais beaucoup moins après 300 km quand elles ont passé trois heures assises dans la position d'une grenouille sur un carré de mousse épais de trois centimètres.
Alors il a oublié les concentrations où la bière et les vannes graveleuses coulent à flot. Il a fini par remplacer les sorties moto par des sorties à cheval, d'abord avec sa femme puis avec ses filles. Depuis qu'il a des chevaux et les contraintes qui vont avec, Philippe ne sort presque plus sa moto, mais il rêve toujours d'une Amérique qui n'existe pas.

Gérard Staron

Pierre et Jeanine, une vie entière en banlieue et des rêves ailleurs

Métro, boulot, dodo, ça c'est pour les parisiens. Pour les banlieusards, c'est encore pire. Il faut y ajouter train, panne de train, incident voyageur, rupture de caténaire, bagage abandonné, surpopulation ferroviaire...
Ca n'a pas toujours été comme ça. Au début, la maison était entourée de vergers et le bourg était à un kilomètre. Il n'y avait pas beaucoup de trains mais on trouvait toujours une place assise.
Et puis d'autres maisons se sont construites, et encore d'autres maisons, avec des terrains de plus en plus petits, remplaçant les vergers. Ensuite arrivèrent les immeubles, entourés de maisons de ville et leurs jardinets minuscules. De plus en plus de gens arrivèrent pour loger dans ces appartements et maisons. Il a donc fallu s'occuper de ces nouvelles familles, construire des crèches, des écoles, des équipements divers et variés. Il ne reste maintenant plus un seul verger, plus un seul champ. Les anciennes maisons commencent à être détruites pour construire des immeubles toujours plus hauts à leur place.
Pendant ce temps, les trains ne se multipliaient pas assez, le réseau vieillissait par manque d'entretien. Bilan, maintenant, les retards sont quasi permanents et on voyage tassé pire que dans un wagon à bestiaux.
La maison, elle n'a pas changé, même si elle a été tour à tour trop grande, trop petite, puis trop grande. C'est qu'il a fallu y aménager une chambre pour les enfants et bricoler pour qu'ils puissent dormir à deux dans cette pièce étroite. Maintenant les enfants sont partis et la pièce est inoccupée. Plus rien ne retient Pierre et Jeanine ici, si ce n'est d'assurer la garde des petit enfants à la demande de leurs parents.
Ils avaient envisagé un temps de partir s'installer au bord de la mer, en Normandie, voire au Portugal, la vie y est moins chère mais ça bousculerait trop l'organisation familiale.
Alors, ils restent là. Ils sont contents, ils n'ont plus besoin de prendre le train aux heures de pointe.

Gérard Staron

Rémi et Valérie, saisonniers confinés

Ils s’étaient rencontrés en 1990. Ils avaient alors 17 ans tous les deux. Pendant les vacances, ils travaillaient comme saisonniers pour se faire un peu d’argent de poche. Ce travail leur convenait bien, c’était la vie au grand air, la convivialité et l’entraide des saisonniers, les soirées qui s’éternisaient dans la douceur des nuits d’été malgré la fatigue. Mais pour les parents, pas question d’arrêter les études avant d’avoir le bac.
Lui remontait de la Drôme où il avait passé le mois de juillet à ramasser les légumes d’été. Elle descendait faire la cueillette des framboises et récolter les melons pour le mois d’août. Le voyage se faisait en stop, autant par mesure d’économie que parce qu’ils avaient le temps et souhaitaient en profiter et faire des rencontres. Pour couvrir une telle distance, il fallait changer souvent 8 à 10 fois de véhicule, on avait rarement la chance de trouver une voiture pour un parcours commun de plusieurs centaines de kilomètres.
Le hasard les avaient laissé au bord de la Nationale 7, à Saint-Gérand-le-Puy, face à face de chaque coté de la chaussée. Elle avait été déposée là par une conductrice qui rentrait chez elle sur Chevillon après le travail. Lui descendait cinq minutes plus tard d’un camion qui venait charger des produits d’entretien pour voitures. Il avait traversé la route pour la rejoindre. Comme il se faisait tard, ils avaient décidé de chercher à l’arrière du village un endroit tranquille où passer la nuit. Après quelques kilomètres, ils avaient trouvé un coin de pré abrité par de grandes haies. Après avoir monté les tentes, ils avaient allumé un feu pour se réchauffer. Le lendemain matin, ils avaient replié les tentes. Une seule avait servie.
Ils avaient décidés de se retrouver dès l’automne pour les vendanges, au diable le bac et les études.
Les années avaient passé. Ils avaient acheté le camion, synonyme de liberté, d’indépendance et de confort. Ils sillonnaient la France au gré de saisons, partant du sud pour remonter progressivement vers le nord, redescendait vers le sud ensuite pour d’autres travaux. Leur vie était bien réglée quoique pleine de surprises et de découvertes.
Quand la vie s’est arrêtée le 15 mars 2020, rien n’avait changé pour eux.

Gérard Staron

Bien malgré lui, René-Charles s'appelle Robert

Tout petit déjà, René-Charles collectionnait les reproductions de sceaux. Il s'était même créé son propre blason, d'or à la barre d'azur et à la tête de loup arrachée.
Il était d'une génération où les soldats de plomb n'avaient plus cours alors il jouait avec des chevaliers en plastique.
Il eut ensuite sa période Airfix. Il commença par peindre les petites figurines puis créa des dioramas de plus en plus grands. Ses reconstitutions encombraient le salon tandis que pots de peinture, pinceaux et colle étaient éparpillés dans la cuisine.
A l'école, il était féru d'histoire du moyen-âge. C'est donc tout naturellement qu'il fit ensuite une licence d'histoire. Si l'histoire ancienne le passionnait, il était tout aussi intéressé par le devenir actuel de ces anciennes familles nobles. Il aurait pu faire socio s'il ne s'était pas lui-même inclus dans cette classe sociale.
Bien que venant d'une famille aisée, il lui était difficile de s'introduire dans ce milieu fermé. Il se construisit donc une identité factice, un arbre généalogique, une particule mystérieusement supprimée pendant la révolution française. Il s'inscrivit dans un club de polo. Il pratiquait déjà l'équitation, sa passion pour la chevalerie l'y ayant poussé. Il fréquenta le milieu du yachting, alla trainer aux Voiles de Saint-Tropez. Son allure mi Playboy, mi vieux-jeu fit merveille. Introduit dans la place, il se mit en quête d'une jeune fille de bonne famille. S'il ne pouvait avoir le nom, il épouserait l'arbre généalogique.
Il se maria en la chapelle du château de Lussac-les-Bois, fief de l'oncle de sa dulcinée. Les jeunes époux s'installèrent d'abord à Paris, tandis que René-Charles démarrait sa carrière dans la finance, grâce à beau-papa plus qu'à ses études.
A cette époque d'avant la crise financière, sa situation lui assurait des revenus confortables. Il acheta donc un terrain et y fit construire son rêve. On voit là le décalage entre ses aspirations noblio-bourgeoises et la vieille tradition de la noblesse française. Mais René-Charles n'en a cure. Il est heureux et projette d'acheter un couple de paons, c'est moins contraignant que des lévriers.

Gérard Staron

Roger ne rate jamais une émission "Des Chiffres et des Lettres"

Il est sympa, Laurent Romejko, un peu jeune mais sympa. Enfin, n'est pas Patrice Lafont qui veut, mais quand même, il mène bien sa barque.
Ça va commencer, tout est bien branché, la télévision fonctionne, l'antenne satellite est bien orientée. Simone voulait aller visiter Romorantin, mais on risquait de revenir trop tard, on ira demain matin. On en profitera pour faire les courses. Il faudra penser aussi à acheter le journal télé.
Ah, les joueurs ! Henri Courtois, il est bon, lui. Trois matchs de gagnés, déjà ! C'est qui, le nouveau ? Pierre Fabre ? Il m'a l'air un peu jeune, celui-là. C'est que c'est un jeu qui demande de la bouteille, quand même, il va n'en faire qu'une bouchée, Henri, du petit nouveau. Je ne pense pas qu'on le verra demain, le Pierre.
Depuis le temps que je regarde l'émission, je ne suis pas mauvais non plus. Les lettres, c'est mon fort. Mes entraînements, ce sont les mots croisés. Ça m'a appris un tas de mots que j'arrive à replacer de temps en temps. Les chiffres, c'est plus compliqué, il y a plein de combinaisons possibles. Avec les lettres, il y a une sonorité, on en choisit trois, on les prononce et les mots viennent tout seuls après. Pour les chiffres, rien, ça tiendrait presque du hasard. Hier, j'ai failli gagner. Enfin, pour ça il faudrait que je participe à l'émission. Demain, je chercherai comment on fait pour s'inscrire, que je montre à Simone ce que je vaux vraiment.
Ah, 10 lettres ! Chut, Simone, je réfléchis...

Mon travail porte sur la perception du réel au travers du médium photographique autour de deux axes de réflexion :
• De part son procédé mécanique, la photographie est-elle une preuve de vérité ?
• La photographie doit-elle se cantonner à l’instant décisif ?

J’ai construit cette série comme un documentaire, à partir d’une réflexion sur la trace de l’homme dans son territoire.

Je me suis intéressé à la plus petite division du territoire, la maison, comme expression d’une individualité. J’ai donc cherché dans les habitations des signes du caractère de leur habitant, chacun laissant ainsi son empreinte sur le monde. L’étude est vue comme un inventaire, permettant d’identifier des catégories, des « Tiny house », jusqu’aux «néo- châteaux ». Si la méthodologie s’inspire de l’école de Düsseldorf, l’objectif de la série est bien différent. Il ne s’agit pas là d’objectivisme, mais au contraire de laisser la subjectivité du regardeur rencontrer celle de l’auteur.

Chaque image d’habitation est complétée d’une vue d’intérieur qu’on attribuera au propriétaire de la maison. Enfin, pour chaque diptyque, un court texte rappelle quelques étapes de la vie de l’habitant du lieu.

En fait, il s’agit d’une fiction documentaire, les vues intérieures ont été réalisées chez le photographe avec ses propres objets, Le texte est en partie inventé, en partie autobiographique et parfois ancré dans la réalité.

Ce qui m’intéresse ici sont les interactions entre le matériel présenté (images et textes), le spectateur et moi. J’interroge une sorte de vécu collectif, que chacun puisse reconnaitre une part de lui-même.