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Thierry GIRARD
The Yamanote Line
Grilles du Jardin Public
Cours de Verdun, 33000 BORDEAUX
Thierry Girard

En décembre 2012, de retour d’un séjour dans le nord du Japon où j’avais travaillé sur les traces du tsunami de 2011 autour de la ville de Kamaishi (travail exposé en 2014 à Bordeaux lors du Festival des photographes voyageurs), j’ai décidé de profiter de la poignée de jours que je devais passer à Tokyo pour entreprendre un travail sur la ville. Les photographies que j’avais pu faire lors de mes précédents séjours ne m’avaient pas satisfait. Je n’avais pas trouvé le bon fil d’une dérive urbaine tokyoïte. Cependant, l’année précédente, j’avais lu le délicieux petit livre de Jacques Roubaud, Tokyo infra-ordinaire, où l’écrivain, profitant d’un assez long séjour à Tokyo, décide d’errer à travers la ville selon ses principes mathématiques, poétiques et situationnistes, et se met à composer ce qu’il appelle « des poèmes de métro ».

Je le cite :
23 Ma décision : bien avant de partir, à Paris, regardant ma carte, j’avais pris conscience d’une sorte d’œil formé par la Yamanote Line et englobant le centre même de Tokyo central. Assez abstrait, bien sûr, mais ce n’est pas plus mal
24 La pupille de cet œil est formée par le palais impérial : Chiyoda-ku
25 Le plan : Aller dans toutes les stations par la Yamanote Line ; une station par jour ; chaque station constituant une station de mon haibun futur

Ma décision : composer un poème visuel des différentes strates urbaines de Tokyo le long de la Yamanote.
Mon plan : Aller de station en station pour photographier la ville depuis les quais.
La Yamanote Line est une ligne de métro circulaire (Roubaud évoque à juste titre la forme d’un œil) qui fait un grand tour du cœur de Tokyo et qui a l’avantage d’être non souterraine. Hormis trois ou quatre stations importantes qui sont en partie recouvertes (il faut alors aller au bout des quais pour trouver la lumière extérieure), toutes les autres stations sont ouvertes sur la ville et la donnent à voir dans ses multiples composantes. On traverse tour à tour des quartiers d’affaire, de loisirs, de commerce, et la ligne fait régulièrement office de frontière, de seuil entre deux types de quartier. Selon que l’on photographie depuis tel ou tel côté du quai, ce n’est pas la même ville qui apparaît. Ce qui se révèle au fil des stations, c’est évidemment la forte densité urbaine, mais surtout la singularité et l’éclectisme de l’architecture vernaculaire de Tokyo, singularité augmentée par la forte présence visuelle de publicités et de panneaux en tous genres.
De fait, en articulant ainsi ce projet, je me réfère à nouveau, comme je l’ai fait pour La Route du Tôkaidô, à une tradition de la représentation du paysage au Japon depuis les estampes d’Hokusai et de Hiroshige, sous forme de séries, qu’il s’agisse par exemple des Trente-six vues du mont Fuji, peintes par l’un et l’autre, ou des Cent vues d’Edo du seul Hiroshige. Cette série pourrait s’intituler Vingt-neuf vues de Tokyo depuis la Yamanote…

Outre la référence à mon projet générique sur La Route du Tôkaidô, ces deux séries japonaises s’inscrivent dans un projet global intitulé Dérives urbaines.
Ce concept lié à la notion de psychogéographie, je l’emprunte à Guy Debord et aux Situationnistes qui prônaient une forme d’interrogation et de ré-appropriation de l’espace urbain par le biais de la dérive, marche attentive et ludique, de quelques heures ou de plusieurs jours, permettant à chacun de mieux comprendre l’organisation de l’espace et la manière dont il est habité.

Le premier projet, Shanghai, The Last Station, mené entre 2010 et 2012 s’y prête parfaitement : il s’agit d’arriver le matin de bonne heure à la dernière station d’une ligne de métro (sachant que certains trajets sont parfois très longs), afin de s’aventurer sur une seule journée (pas de repentir possible) dans un espace parfois urbanisé, parfois ouvert, et de revenir le soir à la même station après avoir fait un aller-retour ou une boucle. Il y aura ainsi 15 dérives shanghaiennes, chacune étant singulière, aucune n’étant le décalque d’une autre. Chambre 4 x 5 pour les paysages urbains, moyen-format pour les portraits, et un assistant !

Les deux projets qui suivent, au Japon, The Yamanote Line et The Tenjin Omuta Line sont plus contraints car il s’agit pour le premier de photographier Tokyo depuis les quais d’une ligne de métro à ciel ouvert ; et pour le second de photographier le paysage vernaculaire du Japon depuis les quais de gare d’une ligne de train traversant l’île de Kyushu.
Mais cette notion de dérive urbaine, je la reprends de manière plus explicite dans un projet réalisé en Roumanie en 2017-18, où je traverse la ville de Iași en suivant à pied cinq lignes de tramway d’un terminus à l’autre. Plus récemment encore, en 2023, j’ai fait le repérage d’une traversée urbaine de Hong Kong que j’espère entreprendre prochainement, et j’ai le projet de retourner en Inde pour photographier une sortie de ville à Chennai.

Ces parcours urbains ont pour le moment remplacé mes marches “historiques“ à travers des paysages naturels, mais il n’est pas dit que ces dernières ne ressuscitent pas un jour.

Thierry GIRARD


Thierry Girard est né en 1951. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris en 1974, il décide dès la fin de ses études de se consacrer à la photographie. Il passe alors beaucoup de temps en Angleterre et dans le Nord de la France, y réalisant ses premières résidences d’artiste : premières commandes, premières bourses de création, premières expositions, premier livre (Far-Westhoek en 1982).

Il s'est fait connaître surtout grâce à ses itinéraires, ses longs périples, ses marches photographiques ou ses dérives urbaines aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, en Inde, un peu partout en Europe, et bien sûr en France. Il s’intéresse plus particulièrement à des pays ou des territoires dont il va fouiller l’épaisseur et les histoires, y compris celles de leur représentation à travers la peinture (Hiroshige et La Route du Tokaido) ou de leur évocation à travers la littérature (Homère, Peter Handke, Claudio Magris, Arthur Rimbaud, Victor Segalen etc.).
Son travail, régulièrement exposé en France et à l'étranger, est présent dans de nombreuses collections publiques et privées. Thierry Girard a reçu le prix Niépce, a été lauréat de la Villa Médicis hors les murs, de la bourse Léonard de Vinci et de la Villa Kujoyama au Japon.

Thierry Girard accorde beaucoup d’importance à la question éditoriale : il a publié à ce jour près de trente livres monographiques et participé à de très nombreux ouvrages collectifs.
Ses ouvrages monographiques les plus récents sont :
Salle des fêtes, éditions Loco, 2016.
Dans l’épaisseur du paysage, éditions Loco, 2017, un échange de correspondances avec l’historien et critique Yannick Le Marec.
Paysage Temps, éditions Loco 2018, avec des textes de Raphaële Bertho et Danièle Méaux.
Le Monde d’après, éditions Light Motiv, Lille, 2019.
Par les forêts, les villes et les villages, le long des voies et des chemins, éditions Loco, 2021, texte d’Héloïse Conesa.

Parallèlement à son activité photographique, Thierry Girard a développé un travail de réflexion critique et littéraire qui accompagne ses différents projets..

www.thierrygirard.com

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