J’ai habité la campagne pendant onze années. Au début, je me sentais heureux loin de tout. Mais la réalité d’une vie sociale limitée a peu à peu effacé l’agréable sentiment de la nouveauté. J’ai commencé à photographier, comme un besoin de preuves en ces lieux peu familiers. J’ai exposé ces photos et provoqué malgré moi la réaction des habitants. Certaines personnes m’ont à leur tout parlé de leurs lieux. Je les ai fait miens en les photographiant, cherchant au fil des ans à connaître par le moyen de l’image, la place des autres. Progressivement, la démarche et la différence que j’apportais ont été rejetées, mon ambition à vouloir participer davantage à la vie locale empêchée. J’ai pris des photos pour continuer d’agir même désespérément. Je prends peu de photographies et conserve toutes les pellicules. Ces années prennent visuellement une épaisseur que je peux soupeser. Elles remplissent les cases d’un calendrier de manière discontinue. Le noir et blanc traduit une forme de retard. L’appareil ne me précède pas. Quand j’ai assez d’images en tête, je pars prendre les photos. Les mettre dans l’appareil me soulage, me vide pour un moment. Aujourd’hui j’habite à nouveau dans une ville. Je reprends ces onze années de photos de la campagne, décloisonnant les différentes séries comme autant de chroniques. Je fabrique ma mémoire, cherchant à me raconter en images, construisant l’histoire qui restera peut-être.
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