La province du Xinjiang - mandarin pour « Nouvelle Frontière » - est la plus occidentale des provinces chinoises, bordée par l’Inde, le Pakistan, plusieurs pays d’Asie Centrale, la Russie et la Mongolie. D’un point de vue géographique, le Xinjiang est situé au nord du Tibet ; d’un point de vue politique, les deux provinces subissent la violence de l’impérialisme de Pékin ; et dans l’imaginaire han, elles partagent d’être des terres de légendes et de folklore, un Lebensraum occidental, un « grand ouest », à la chinoise. Jusqu’à peu, cette province était majoritairement peuplée de musulmans sunnites turcophones, les ouighours ; mais également de kazakhs, hui, kirghizes, mongols, tadjiks et autres nationalités venues des steppes d’Asie Centrale. Les chinois han, arrivés par vagues successives depuis quatre cents ans, représentent désormais près de quarante pourcents de la population locale. Grande comme trois fois la France mais peuplée seulement de vingt-deux millions d’habitants, son sous-sol renferme de multiples énergies fossiles qui rendent sa sortie du giron chinois impossible. Plusieurs attentats et de violentes manifestations y eurent lieu ces dix dernières années, provoquant la mort de centaines de civils, fruits des tensions communautaires et pressions sécularistes chinoises, mal vécues par la communauté musulmane d’un côté, et récupérées d’un autre côté par la propagande djihadiste. Le Xinjiang est néanmoins chinois et le restera pour encore très longtemps. Ainsi, c’est d’abord une forme d’altérité ethnique et culturelle, mais à l’intérieur même du territoire chinois, que représente le Xinjiang. Une « Algérie française » à la chinoise, dont les citoyens de seconde zone sont souvent considérés avec mépris dans le reste du pays. Malgré les politiques de développements – notamment l’ambitieux projet de la nouvelle route de la soie - et tentatives bureaucratiques de classifications, le « grand Ouest » chinois relève davantage de l’imaginaire culturel que de la géopolitique. C’est d’abord, comme la promesse ambigüe d’une sauvagerie qui pourrait être un Eldorado, un objet de désir ou de répulsion. C’est la raison pour laquelle le propos de mon projet photographique n’est pas à proprement parler politique. Out West est en effet moins né d’une indignation que, là aussi, d’un désir. Celui de découvrir cette autre Chine qui semble si exotique, aux antipodes de la Chine de l’Est. C’est la matérialisation photographique de la rencontre entre ma patrie d’adoption depuis dix ans et ma passion d’enfance pour la mythologie américaine de la conquête de l’Ouest. Dans les deux pays les rêves de nouvelles opportunités de certains font le malheur des autres. Dans tous les cas, la découverte du grand Ouest, qu’il soit américain ou chinois, est la mise à l’épreuve du désir.

Patrick Wack

Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris et ancien membre de l’équipe de France de football américain, Patrick Wack est né à Cannes en 1979 et a grandi en banlieue parisienne. Photographe autodidacte, il gagne Shanghai en 2006 en quête d’une nouvelle vie après plusieurs années aux Etats-Unis, en Suède et en Allemagne. L’Humain occupe dans ses images une place essentielle et lui permet d’établir un pont entre ses différentes pratiques photographiques, qu’elles soient éditoriales, commerciales ou artistiques. Patrick consacre une partie de son temps à des projets personnels de long terme qui marient la pratique documentaire avec une approche esthétisante et contemplative. Son travail a été récompensé par le premier prix du festival international de portrait de Kuala Lumpur en 2014 et en 2015 son travail a été l’objet d’expositions à Paris, Berlin, Shanghai et Singapour. Son travail a été diffusé dans des publications telles que le New York Times, Sunday Times, Monocle, National Geo, Courrier International, Elle, Vogue et Travel & Leisure.

www.patrick-wack.com